️ Une maison sauvée de l’oubli à L’Acadie
De manière générale, la question du patrimoine fait l’actualité pour de bien mauvaises raisons. Manifestement, c’est souvent (presque toujours) devant la menace d’une disparition ou d’une altération que l’on prend pleinement conscience de sa valeur.
Il y a cependant de formidables exemples de restauration qui méritent d’être mis en lumière. Le cas de la maison construite par François Roy et Françoise-Rose Brault située au 680, chemin des Vieux-Moulins à L’Acadie en est un.
François Roy
Vers 1776, François Roy (1754-1834) arrive à Petite-Rivière-de-Montréal (L’Acadie) au même moment que son frère Laurent. Il est alors au début de la vingtaine et vient prendre possession de ses terres qui voisinent d’ailleurs celles de son aîné. Ensemble, les Roy possèdent 360 arpents de belles et bonnes terres¹ .
Rappelons que c’est leur père, Laurent Roy, qui en a fait l’acquisition en 1770 à la baronne Marie-Charles-Joseph Le Moyne de Longueuil, qui est par ailleurs l’unique femme qui portera ce titre.
Le 3 août 1778, François épouse dans l’église Saint-Jean-François-Régis (Saint-Philippe) Françoise-Rose Bro (Brault), la sœur cadette d’Élisabeth Brault qui se liait un an plus tôt et presque jour pour jour à son frère Laurent² .
Il n’y a pas encore d’église ou même de presbytère-chapelle à L’Acadie. Les premiers colons doivent donc se rendre dans des localités voisines pour accomplir leur devoir religieux.
Françoise-Rose Brault
Les parents de Françoise-Rose (1762-1848) font partie des Acadiens déportés vers la Nouvelle-Angleterre. Après un séjour forcé à Boston, Alexis Brault et Marguerite Barriault s’installent d’abord à L’Assomption³.
La famille qui compte alors sept enfants, y demeure au moins jusqu’en juin 1767, puis se transporte vers Saint-Jean-François-Régis et finalement à Petite-Rivière-de-Montréal où ils se fixent vers 1770 sur la rive ouest de la petite rivière (rivière L’Acadie), dans la portion nord du territoire.
Rapidement rejoint par nombre d’Acadiens, cette ligne de concessions est nommée « côte de L’Acadie »⁴. Tranquillement, un glissement toponymique s’opère et l’entièreté du territoire hérite du nom La Cadie, puis La Nouvelle-Cadie, ensuite La Petite-Cadie et finalement L’Acadie, en mémoire de celle ravie par la force en 1755⁵.
Vieux-Moulins
Jadis, le territoire de L’Acadie est une véritable forêt vierge où prolifèrent ormes, frênes, érables et merisiers blancs. Avec son frère Laurent, François Roy construit une scierie sur la petite rivière de Montréal, face à leurs terres. Lorsque leur frère cadet Joseph les rejoint, il érige à son tour un moulin ⁶.
Les Roy font d’ailleurs fortune en fabriquant, puis en vendant à Montréal des planches ainsi que des courbes de sellettes et des attelles de colliers qui servent à l’harnachement des chevaux⁷.
Notons que la rivière L’Acadie actionnera au fil du temps de nombreux moulins, majoritairement en amont du village, qui viendront offrir un nouveau toponyme à la concession sud-est de la rivière de Montréal que l’on nomme aujourd’hui le chemin des Vieux-Moulins.
Maison Roy-Brault
La maison Roy-Brault date d’avant 1800 et demeure rattachée au style colonial français. D’inspiration française, elle est toutefois le fruit d’une adaptation notamment à notre climat, mais aussi aux matériaux disponibles sur le territoire.
À noter, les cheminées disposées en chicane (chacune sur leur versant), le carré d’origine trapu en moellon, l’asymétrie des ouvertures et la toiture à deux versants droits qui offre une forte pente.
Il s’agit cependant d’une seconde construction. À son arrivée, François Roy érige une première habitation de plus petite dimension en pierre des champs. Elle a malheureusement été démolie en 1953⁸ .
Sauvetage
Au printemps 2020, durant le premier confinement, nous avons vu la maison Roy-Brault être prise d’assaut par de courageux restaurateurs qui l’ont enfin fait ressurgir de l’oubli. Longtemps laissée à l’abandon, rien ne laissait présager qu’elle brillerait à nouveau.
Cette restauration est une incroyable dose d’espoir pour la sauvegarde du patrimoine immobilier. Cette demeure qui date du début de la colonisation de L’Acadie est beaucoup plus que des pierres séculaires, elle est un lieu de mémoire qui nous offre un chapitre de notre histoire. Toutefois, sans le travail de tels passionnés, il ne resterait que des ruines pour nous raconter.
Texte rédigé par l’historienne Marilou Desnoyers. Détentrice d’un baccalauréat, d’une maîtrise ainsi que d’études au niveau doctoral en Histoire de l’art, Mme Desnoyers signe plusieurs ouvrages à caractère historique, dont L’église Sainte-Marguerite-de-Blairfindie. Lieu de mémoires (2016), Regard sur 350 ans d’histoire : Saint-Jean-sur-Richelieu (2016), Le Haut-Richelieu : des trésors d’eau, de terres et de feu (2017) ainsi que la Collection des rallyes historiques qui compte à ce jour cinq plaquettes. Dans le cadre de la série d’articles Les carnets d’histoire, elle contribue à la mise en valeur du patrimoine bâti de la région en soulignant l’importance de ses édifices emblématiques.
Références:
¹ Stanislas-Albert., Histoire de L’Acadie, province de Québec, Montréal, s.é., 1908, p.131.
² Ibid.
³ Marie-Thérèse Lagacé, Familles acadiennes de L’Assomption et de Saint-Jacques-de-la-Nouvelle-Acadie
1760-1784 : immigration et profil de migrants, Mémoire, Université de Montréal, 2006, p.119
⁴ Jean-Louis Lachambre, Le terrier de L’Acadie dans le Haut-Richelieu, Boucherville, J.-L. Lachambre,
2013, 89 p. ill.
⁵ Marilou Desnoyers, Regard sur 350 ans d’histoire. Saint-Jean-sur-Richelieu, Saint-Jean-sur-Richelieu,Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu, 2016, p.45.
⁶ Op.cit., Moreau, p. 128.
⁷ Ibid.
⁸ Pierre Brault et Thérèse Roy-Caron, Les familles Roy du Haut-Richelieu, Conférence tenue le mardi 18 février 1992, Société d’histoire du Haut-Richelieu, Centre culturel Fernand-Charest.
Le Musée du Haut-Richelieu tient à remercier la MRC du Haut-Richelieu ainsi que le gouvernement du Québec pour leur soutien dans la parution de cet article.