Un temple qui échappe à l’emprise du temps
Au cœur du noyau villageois de L’Acadie, s’élève un petit temple de bois blanc, dont l’authenticité est remarquable. Sise au 515, chemin du Grand-Pré, celle que l’on nomme Grace Church, demeure empreinte de mystère.
C’est vers 1830, qu’une petite colonie protestante anglophone, qui a connu son apogée entre les années 1860 et 1870, érige cette modeste église à L’Acadie.¹ En février 1830, on parle d’ailleurs d’une importante affluence de protestants dans la paroisse.
Cette communauté est entre autres formée de descendants de militaires de la Conquête et de soldats démobilisés, suite aux différentes invasions américaines. À ce noyau protestant, formé notamment par des familles anglaises, dont les York, Simpson et Bennett, viendront se greffer des immigrants écossais et irlandais².
Irlande
À partir de 1815, le flot migratoire irlandais ne fait qu’augmenter au Québec en raison de l’importante famine qui assaille l’Irlande. L’historien Pierre Brault signale d’ailleurs que plusieurs Irlandais catholiques et protestants provenant majoritairement des mêmes régions, soit des comtés de Wicklow et de Longford, choisissent alors L’Acadie comme terre d’accueil.
Parmi les Irlandais protestants qui se joindront à la communauté de Grace Church, on trouve les Brownrigg, Berry, Lamb, Liggett, Antney, Cousins, Shortley, Richardson, Twamly, Rice ainsi que les Wing³. On peut également ajouter à cette liste les Smith, dont certains étaient toutefois de confession catholique.
Incendie
Suite à un incendie, la petite chapelle dont le frontispice donne à l’est, sur le rang les Concessions, est décimée, puis reconstruite vers 1877, au même emplacement. Cependant, Grace Church sera cette fois orientée à l’ouest et fera désormais face au chemin du Grand-Pré.
L’ancienne orientation du bâtiment demeure toutefois rappelée par les différentes pierres tombales qui semblent aujourd’hui tourner le dos à la route. Notons par ailleurs que le monument le plus ancien de ce cimetière daterait de 1848⁴.
Crédit photo: © Patri-Arch, 2003.
Mitaine
Avec son corps principal percé de fenêtres en arc en plein cintre et coiffé d’un toit à deux versants droits, on peut rattacher Grace Church au style néoclassique. À noter sur sa façade principale, un tambour en saillie, qui revêt également une toiture à deux pans.
L’architecture de l’église rappelle par ailleurs celle de la maison de réunion (meeting house) de Nouvelle-Angleterre. Ces maisons de réunion qui demeurent liées aux origines de la Nouvelle-Angleterre servaient de lieu de rencontre pour la communauté qui s’y rendait autant pour des activités religieuses, politiques, civiles et sociales.
D’ailleurs, les francophones de L’Acadie surnommaient Grace Church « la mitaine ». Il s’agit en fait d’une variation du terme meeting house. Cette déformation linguistique n’est cependant pas unique à L’Acadie. Ainsi, on retrouvait des mitaines dans les nombreux villages québécois qui accueillaient un temple protestant.⁵
Pasteur
Grace Church qui ne possède pas de pasteur résident est d’abord à la charge du révérend de Laprairie (La Prairie). Puis, en 1882 elle sera rattachée à la paroisse de Christieville (Iberville), qui est alors administrée par le révérend Benjamin P. Lewis. En plus de s’occuper du pastorat de Trinity Church, le pasteur doit parcourir onze kilomètres à cheval pour se rendre à L’Acadie, le dimanche⁶.
Le dimanche suivant, il sillonne cette fois quatorze kilomètres pour rejoindre l’église Saint-Jean de la « Savanne » (Saint-Luc). Les temples de L’Acadie et de Saint-Luc relèveront par la suite de la paroisse St. James (Saint-Jean), puis Grace Church sera finalement liée à celle de Chambly.
Érigée en 1872, l’église de la Savanne se trouvait auparavant au carrefour du chemin de Saint-Jean (route 104) et de celui du Coteau-de-Trèfle Sud, avant d’être démontée, puis reconstruite à l’identique à Knowlton sur un terrain privé.
Décor
Il apparaît que les rapports étaient cordiaux entre les fidèles de Grace Church et les catholiques francophones de L’Acadie. Malgré cet esprit œcuménique, on note toutefois que l’abbé Stanislas-Albert Moreau décrivait en 1908 le temple avec beaucoup de sévérité, s’offusquant de n’y voir aucun autel, ni image, ni statue, mais plutôt une froide désolation⁷.
Représentatif des autres lieux de culte protestants, Grace Church propose un décor dénué de faste, qui vient s’opposer à l’ornementation abondante des églises catholiques. Toutefois, ce charmant édifice à l’intérieur lambrissé de bois, baigné par la lumière diffuse des lampes à l’huile, offre une sobriété propice à la sérénité, au recueillement et n’est en aucun cas dénué de beauté et d’élégance.
Jalousement préservé, ce lieu privé d’électricité, donne l’impression d’avoir réussi à échapper à l’emprise du temps. S’y trouve encore, un harmonium à pédales qui sert à enjoliver les rares cérémonies qui s’y déroulent toujours durant la belle saison.
Willis Bennett, représentant de la dernière famille de l’ancienne communauté anglicane de L’Acadie et gardien de cette mémoire, nous raconte que sa mère, Janet Simpson, jouait jadis de cet instrument, relique des temps anciens⁸.
Texte rédigé par l’historienne Marilou Desnoyers. Détentrice d’un baccalauréat, d’une maîtrise ainsi que d’études au niveau doctoral en Histoire de l’art, Mme Desnoyers signe plusieurs ouvrages à caractère historique, dont L’église Sainte-Marguerite-de-Blairfindie. Lieu de mémoires (2016), Regard sur 350 ans d’histoire : Saint-Jean-sur-Richelieu (2016), Le Haut-Richelieu : des trésors d’eau, de terres et de feu (2017) ainsi que la Collection des rallyes historiques qui compte à ce jour cinq plaquettes. Dans le cadre de la série d’articles Les carnets d’histoire, elle contribue à la mise en valeur du patrimoine bâti de la région en soulignant l’importance de ses édifices emblématiques.
Références:
¹ Pierre Brault, Histoire de L’Acadie du Haut-Richelieu, Éditions Mille Roches, 1982, p. 42.
² Ibid., p. 41.
³ Ibid.
⁴ Cimetière du Québec, L’Acadie, Grace Church, [en ligne],
https://www.cimetieresduquebec.ca/monteregie/st-jean-gracechurch-lacadie/, [Site consulté le 17 février 2025].
⁵ À cet effet, voir Répertoire du patrimoine culturel du Québec, « Ancienne chapelle United Church », [en
ligne], https://www.patrimoineculturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do
methode=consulter&id=197211&type=bien , [Site consulté le 17 février
2025].
⁶ Trinity Church, Iberville, Quebec: Centenary souvenir 1841 -1941, Québec, 1941, p. 12.
⁷ Stanislas-Albert Moreau, Histoire de L’Acadie, province de Québec, Montréal, s.é., 1908, p. 61
⁸ Entrevue réalisée en décembre 2021 avec monsieur Willis Bennett de L’Acadie
Le Musée du Haut-Richelieu tient à remercier la MRC du Haut-Richelieu ainsi que le gouvernement du Québec pour leur soutien dans la parution de cet article.